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Odile Decq «Je n’ai pas d’idées préconçues»

By mars 1, 2013octobre 1st, 2021No Comments

Odile Decq c’est d’abord un look, le sosie féminin de Robert Smith, le chanteur de Cure : cheveux en pétard, oeil charbonneux, vêtements noirs. Mais, derrière ce look gothique se cache une femme douce qui dégage une force et une détermination incroyables. C’est sur le salon Maison & Objet dont elle a été nommée «créateur de l’année» que nous l’avons rencontrée.

Par Valérie TAZI

 

 

 

© Roland Halbe

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Quelle est la place de la femme dans le monde de l’architecture ?
Quand on démarre, c’est toujours aussi difficile, car nous sommes toujours minoritaires (en France, 30% de femmes sont inscrites à l’ordre des architectes) et nos interlocuteurs sont toujours des hommes. En même temps, on peut s’en servir, mais il faut savoir doser.
Comment expliquez-vous que les femmes très nombreuses dans les écoles d’architecture disparaissent ensuite dans la nature ?
Elles vont dans les agences ou épousent des architectes. Elles sont alors dans l’ombre et l’acceptent. On les retrouve aussi dans les magazines ou dans les administrations.

Diriez- vous que votre agence à connu des hauts et des bas ?
Oui, une agence, c’est complètement cyclique. On démarre, puis ça retombe. Il faut alors redémarrer. Quand on fait la Biennale de Venise par exemple, ça donne de la gloire, mais pas du travail. Et puis ça provoque des jalousies.

Pensez-vous être plus estimée à l’étranger où vous travaillez beaucoup que dans votre propre pays ?
Oui, on est plus estimé à l’étranger parce que nous sommes différents. Les Français sont très conventionnels. Ils aiment bien mettre les gens dans des cases et n’aiment pas être dérangés dans leur petit confort. Pendant longtemps, j’ai beaucoup plus travaillé à l’étranger qu’en France. Maintenant c’est le contraire.

Pourquoi ce changement ?
Après le MACRo à Rome, on s’est mis à m’aimer à nouveau. Ils ont découvert que j’existais encore…

Comment définissez-vous votre style ?
Ça, c’est un exercice que je ne sais pas faire. Je ne sais jamais à l’avance dans quelle direction je vais partir. Je n’ai pas d’idées préconçues. Cela ne peut pas se réduire au travail des couleurs, c’est peut-être ma façon de travailler l’espace, je ne sais pas.

Quelles sont vos matières de prédilection ?
Le métal parce qu’il est précis et le verre parce qu’il est malléable et innovant.

Et vos couleurs ?
Le noir récemment, car j’ai ait plusieurs musées et qu’il se prête bien à ces espaces.

Et le rouge ?
Oui, je l’utilise depuis longtemps, car pour moi, il représente la vie, le dynamisme, l’énergie. Je trouve que dans les bâtiments, ça marche bien le rouge.

Avez-vous des maîtres en architecture ?
Non, je suis plutôt attirée par des bâtiments.

Lesquels ?
J’aime le musée juif de Berlin J’ai été touchée par la façon dont certains espaces ont été travaillés. Certaines œuvres de Niemeyer au Brésil. Je m’y suis sentie bien. Le couvent de la Tourette de Le Corbusier qui m’a étonnée par sa puissance et sa force. Des choses qui m’épatent et qui me font dire que je ne suis pas encore à ce niveau et que je dois travailler plus pour l’atteindre.

Peut-on vous qualifier d’architecte «high-tech» ?
Plus grand monde fait du high-tech aujourd’hui. C’était très tendance à la fin des années 1980, début des années 1990. Mon travail à la BPO était high-tech. Aujourd’hui, il est intéressant de travailler le «soft-tech». Des matériaux comme le verre sont mis en œuvre de manière extrêmement sophistiquée, mais ça ne se voit pas. C’est ça qui est intéressant, car ça donne une part de magie en plus.

Quel est le projet dont vous êtes la plus fière ?
Le prochain. Quand ils sont finis, ils sont finis, ils vivent leur vie.

Quel est votre prochain projet justement ?
Un bâtiment de bureau à Lyon en porte à faux de 24 mètres sur le quai de la Saône qui je crois est spectaculaire.

Et les autres ?
Il y a le musée de géologie et d’archéologie de Nankin, en Chine, une école internationale de cinéma en Suisse, des maisons entièrement en verre en Bretagne, des couverts et un plateau pour Alessi…

Et le projet de terminal portuaire à Tanger, où en est-il ?
Le chantier à démarré, puis s’est arrêté. Je ne sais pas quand il reprendra…

Le restaurant de l’opéra Garnier à été très médiatisé. Quelles sont ses spécificités ?
Il fallait travailler dans un monument historique, s’y glisser sans le toucher. Et il fallait que le restaurant soit réversible. C’est un endroit un peu magique qu’il faut juste vivre. Le rez-de-chaussée est ouvert sur la rue en continuité avec l’espace urbain, l’étage est plus cocon, plus privé. Et puis, ça n’est pas habituel d’avoir un élément contemporain dans un monument historique.

Comment rendre la ville plus «vivable « ?
Chez vous, il faut agir sur la gestion des espaces publics, les transports, la propreté, les espaces verts et le sens collectif. Tout le monde pense que l’espace public est à soi.

Comment l’architecte peut agir ?
En créant des bâtiments bien faits, car quand ils sont bien faits, ils sont moins attaqués. Le bâtiment que j’ai conçu à la faculté de Nantes n’a toujours pas été tagué alors que les autres le sont.

Si vous n’aviez aucune contrainte, qu’aimeriez-vous bâtir ?
Les contraintes font partie de notre métier. On répond à une commande assujettie à des contraintes. Dans le design, on a un peu plus de liberté, mais c’est dans l’art plastique qu’on en a le plus. Quand j’ai commencé mes études, j’avais envie de construire un théâtre, mais je ne l’ai toujours pas fait. Aujourd’hui, tout ce que je n’ai pas encore abordé m’intéresse.

 

Bio Express
Odile Decq a ouvert son agence d’architecture immédiatement après avoir été diplômée de La Vilette en 1978 tout en débutant des études à Sciences Po Paris au terme desquelles elle a été diplômée en urbanisme en 1979. Associée à Benoît Cornette, dès le milieu des années 80, la reconnaissance internationale arrive très tôt, en 1990, à l’occasion de la première grande commande: la Banque Populaire de l’Ouest à Rennes. Les très nombreux prix et publications qui accompagnent la construction de ce bâtiment soulignent la naissance d’un nouvel espoir issu de la révolte punk qui met à mal les conventions poussiéreuses. En mettant en question la commande, l’usage, la matière, le corps, la technique, le goût, l’architecture de l’agence Odile Decq Benoît Cornette propose un regard paradoxal, à la fois tendre et sévère sur notre monde.
En 1996, le travail innovant de l’agence a été couronné par le Lion d’Or à la 6ème Mostra de Venise. Seule aux commandes depuis le décès de Benoît Cornette en 1998, Odile Decq reste fidèle à sa position de résistante, tout en diversifiant et radicalisant sa recherche. Elle a récemment livré le MACRo (Musée d’Art Contemporain de la Ville de Rome) en 2010 ainsi que le restaurant de l’Opéra Garnier en 2011 et le FRAC (Fond Régional d’Art Contemporain) de Bretagne à Rennes en 2012.