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Kenzo Takada : «Le Japon est un pays d’histoire, de culture, d’artisanat, comme le Maroc»

By décembre 10, 2017juin 7th, 2021No Comments

Extrêmement élégant, dans un costume en lin noir à fines rayures, Kenzo Takada nous a reçus, en toute simplicité, sur la terrasse du Royal Mansour Marrakech, avec en fond sonore, le chant des oiseaux. Le plus parisien des couturiers français a fait le déplacement pour promouvoir la nouvelle collection de tissus et céramiques qu’il a imaginée pour Roche Bobois. Il nous en a évidemment parlé, mais pas seulement. Il nous a aussi révélé, dans la joie et la bonne humeur, un lien avec le Maroc que l’on ne connaissait pas. Une rencontre inoubliable avec un homme délicieux et humble qui n’a décidément plus rien à prouver…

 

Pourquoi avoir accepté cette collaboration avec Roche Bobois ?
J’ai toujours aimé le Mah Jong qui a déjà été revisité par Kenzo justement, mais aussi Missoni, Sonia Rykiel, Jean-Paul Gaultier. Quand Roche Bobois m’a fait cette proposition, il y a 2 ans et demi, j’ai tout de suite été inspiré par l’esprit de ce canapé. En plus, le Mah Jong est né en 1971 et moi j’ai commencé en 1970. J’aime son esprit un peu bohémien, son côté multiculturel.

Avez-vous eu carte blanche ?
Oui. Au début, j’ai fait trois propositions s’inspirant des motifs que l’on trouve sur les kimonos, et le projet a évolué au fil du temps. Dans l’idée de «recoloriser» complètement les tissages du théâtre No et de les réinterpréter librement, nous avons réalisé trois gammes de couleurs.
Les tissus des costumes du théâtre No sont en soie et faits à la main. Les nôtres ont été fabriqués en Italie. Tout a été mis en oeuvre pour que ces tissus soient réalisés de manière industrielle, mais en respectant l’esprit des kimonos anciens, notamment par le soin apporté aux jacquards et aux matières utilisées. En Italie, ils ont beaucoup de possibilités de tissage.
On a fait faire les tissus avec une technique machine, et le résultat est assez magique. On peut avoir autant de motifs et de couleurs que l’on veut. On a mis plus d’un an à travailler sur les échantillons de couleurs.

Quel est votre rapport au kimono ?
J’aime beaucoup les kimonos. J’ai, bien sûr, été influencée par ma mère. Quand j’étais petit, je regardais comment elle s’habillait, cela me fascinait. J’ai même créé des collections pour une maison traditionnelle de Kimonos de Kyoto pendant 5 ou 6 ans. Cette expérience m’a appris beaucoup de choses. J’ai aussi imaginé des ceintures, des accessoires qui changent tout, et mélangé les fleurs et les motifs géométriques. C’était une expérience unique.

Pourquoi vous-être inspiré du Théâtre No ?
J’aime le Kabuki pour son exubérance, mais encore plus le théâtre No dansé par les samouraïs parce c’est quelque chose de noble.

Est-ce que c’est votre première incursion dans le monde de la décoration ?
Non, en 2004, j’ai collaboré avec Baccarat. J’ai fait des vases, des bougeoirs, un bouddha et un paravent en laque avec incrustations de cristal en édition limitée.

Pour Roche Bobois aussi vous avez fait des vases, mais en céramique ?
Oui, ce n’était pas dans le cahier des charges, mais quand on a fini le Mah Jong, on s’est dit qu’il manquait quelque chose. On a fait un tapis, des vases, des coussins et des plaids. C’était la dernière touche.

Vous êtes arrivé en France le 1er janvier 1965 pour 6 mois, près de 50 ans après, vous y êtes toujours. Qu’est-ce qui vous a donné envie de venir et d’y rester ?
J’ai trouvé du travail au bout de 6 mois alors que je ne m’y attendais pas. J’étais très content. Il y a avait peu de Japonais à l’époque à Paris. J’ai commencé dans la maison de prêt-à-porter Pisanti qui faisait des robes, puis j’ai travaillé dans un bureau de style pendant quatre ans. En même temps, j’ai vendu pas mal de dessins au Printemps, aux Galeries Lafayette, au magazine Elle et dans la mode. Puis j’ai partagé une boutique Galerie Vivienne avec un ami et tout s’est accéléré. A l’époque le loyer de la boutique équivalait au prix du loyer de mon appartement. Et puis Paris c’est Paris. C’est pour découvrir cette ville, capitale de la mode, que j’ai décidé de quitter le Japon il y a 50 ans.

Près de 20 ans après, est ce que la mode vous manque ?
Des fois ça ma manque, mais dans la mode il faut travailler tout le temps. Quand j’ai arrêté en 2000, j’aspirais à de longues vacances, mais je me suis vite ennuyé. J’avais une maison à Pukhet. J’y ai passé Noël avec des amis et je devais rester un mois. Mais quand ils sont repartis le 5 ou 6 janvier, je me suis demandé ce que je faisais là, tout seul… (rires).

Quels sont vos liens avec le Maroc ?
J’y viens depuis les années 1970. J’avais des amis qui avaient des riads à Marrakech. J’avais envie de m’y installer, finalement, j’ai acheté un terrain à Tanger, mais je n’ai jamais construit. J’adore le Maroc. La première fois que je suis venu, c’était à Noël. J’ai atterri à Casablanca, mais je n’ai pas aimé cette ville. En revanche, quand je suis arrivé à Marrakech, j’ai apprécié le climat, les maisons. C’est un vrai paradis ! Il y a tout ici. Et c’est trop compliqué d’avoir une maison et de s’en occuper. Mieux vaut aller à l’hôtel, il y en a de magnifiques ici.

Avez-vous réalisé tous vos rêves ?
J’ai eu beaucoup de chance de vivre différentes expériences. J’ai fait beaucoup de choses. Des costumes de théâtre, un film qui n’a d’ailleurs pas marché (rires).

Vraiment ! Un long-métrage ?
Oui une production japonaise que nous avons tournée au Maroc justement, en août 1979, en plein ramadan. C’était le seul moment où je pouvais le faire. On a filmé à Ouarzazate, Zagora, Fès, Rabat. On commençait à 6 heures du matin et on arrêtait à 10 heures. Un conte de fées qui n’a pas rencontré son public (rires).

Alors encore un rêve à réaliser ?
Redécouvrir le Japon. Quand j’y vais, je reste à Tokyo. Il y a tellement d’endroits à visiter. C’est un pays incroyable. J’ai envie de redécouvrir ma culture que je ne connais pas assez. Le Japon est un pays d’histoire, de culture, d’artisanat, comme le Maroc. Ca c’est mon prochain projet et continuer à travailler un petit peu. J’ai toujours besoin de ça.