En franchissant la porte de cette maison, on comprend vite que l’on vient d’investir l’univers de gens passionnés de design, particulièrement de design italien représenté par des marques aussi prestigieuses que Magis, Alessi ou Cappellini. Le lieu, polychrome, est imprégné d’une volonté esthétique et pensé dans les moindres détails, mais n’est pas vécu comme un musée. Nouvel, Starck, Sottsass, Giovanonni, Le Corbusier, Gehry, Arad et bien d’autres y ont trouvé tout naturellement leur place et nous font explorer les chemins de la création contemporaine.
Stylisme Deborah BENZAQUEN
Texte Valérie TAZI
Photos M. ROMLI
Quand ils ont acheté la maison construite il y a une vingtaine d’années, elle était de style traditionnel avec des colonnes, du marbre et des petites ouvertures. “On avait envie de lumière et de couleurs” explique la maîtresse des lieux. Ils ont donc fait appel à Majd et Zineb Berrada, qui en qualité d’architectes les ont accompagnés dans les travaux de rénovation. Aujourd’hui, la maison est composée de grandes baies vitrées qui donnent sur le jardin et la piscine en angle. Le marbre a été remplacé par de la céramique gris anthracite, les murs ont été peints en blanc et en argenté satiné.
L’entrée est composée d’une console de Fabio Novembre pour Cappellini. Ses pieds en corde de polypropylène semi-rigide en font une véritable sculpture. Sur la console, une potiche en céramique de Sicile multicolore achetée par le couple quand ils étaient jeunes mariés. Au-dessus, un tableau de Spoldi, grand peintre italien qui exprime beaucoup d’humour. Près de la porte, une chaise Le Corbusier en bois rouge, bleu, jaune et noir donne le ton. Des étagères “Boogie Woogie” désignées par Stefano Giovannoni pour Magis supportent une collection de tire-bouchons en série limitée signée Alessandro Mendini pour Alessi.
Le salon, cette “pièce à vivre”, ouverte à la rencontre et à l’accueil est composé d’un grand fauteuil rouge en acier et laine bouclée créé par Ron Arad pour Moroso, spécialiste italien du canapé et du fauteuil. C’est la pièce maîtresse du salon, celle autour de laquelle s’articule tout le reste, le meuble qui donne le ton. Près du fauteuil, trois grandes lampes blanches de Cappellini apportent une lumière tamisée. Les tables basses sont en verre trempé de chez Glas Italie. Un canapé bas en skaï gris métallisé et une chaise “Déjà vu” réalisée par Naoto Fukasawa pour Magis en aluminium poli complète le salon. Un symbole du design italien achetée en Italie fait la fierté des maîtres des lieux. C’est l’étagère Carlton, en bois et plastique laminé, créée dans les années 80 par Ettore Sottsass, initiateur du mouvement Memphis, un groupe de créateurs cosmopolites qui s’engagea contre l’orthodoxie fonctionnaliste, contestant l’emprise industrielle sur l’environnement quotidien. L’étagère Carlton est un totem rock, baroque, un objet «parent du langage des hippies, des Hindous, des astronautes et des civilisations disparues», comme le décrit Alessandro Mendini, autre designer italien. Ce meuble se suffit à lui-même, nul besoin de le remplir de livres ou d’objets. Seule une stéréo à valves Sonus Faber (technologie des années 40-50) y a trouvé sa place. Une bibliothèque à pivot en verre transparent a été réalisée par Jean Nouvel pour Curvet. Elle met en valeur des livres d’art négligemment entassés les uns sur les autres. Au mur, un tableau de Hanzaoui, peintre d’Asilah dans la veine des oeuvres de Basquiat et une collection de bouilloires d’Alessi : celle de Richard Sapper siffle, celle de Frank Gehry est en forme de poisson,… Pour la propriétaire, “Le goût de chacun est un fil conducteur”. Là, déjà, on sait que le design est le fil qui va nous conduire de pièce en pièce. Pourtant, au milieu du salon trône une vitrine et son miroir du XVIIIe siècle venant de Sicile. Cherchez l’intrus. C’est en fait un meuble que le propriétaire a hérité de sa famille. Autre curiosité : le tableau d’Omar Galliani qui se trouve au-dessus de la cheminée. C’est un peintre italien, un nouveau Léonard de Vinci qui a remis au goût du jour les portraits classiques. La maîtresse des lieux explique “qu’ils ne veulent pas du fast design. Le design, c’est une façon de penser, une manière de voir la vie et notre environnement, une esthétique. Mais nous ne sommes pas hermétiques à la beauté classique tant qu’il y a de l’harmonie et qua ça reflète l’âme des propriétaires”.
Dans la salle à manger, la lumière se déverse à flots par les deux grandes baies vitrées. La grande table rectangulaire en feuille d’argent occupe une grande partie de l’espace. Des chaises en acier conçues par Konstantin Grcic pour Magis sont bien plus confortables qu’elles en ont l’air. Sur une étagère jaune et bleue de Glas Italia sont exposés des objets Alessi qui ne sont plus produits. La table a été dressée pour deux pour un romantique et ludique dîner aux chandelles, Saint-Valentin oblige…
A l’étage, la chambre nous entraîne dans un univers complètement différent. Ici, le meuble d’époque règne en maître, que ce soit le lit vénitien du XIXe siècle en fer peint chiné chez un antiquaire en Italie ou la commode et les tables de nuit Louis-Philippe.
Des estampes italiennes représentant la mythologie romaine ornent un mur bleu de Prusse. La chambre est aussi le refuge de petits souvenirs intimes : un kilim de Turquie, une étagère en zouac du Maroc, des tapis anciens de Rabat, le bureau du grand-père sicilien. Tous ces objets ont une histoire. “C’est une ambiance un peu boudoir, un peu ouatée qui repose, protége un peu” explique la propriétaire. Le seul meuble postérieur au XXe siècle est un fauteuil en feutrine et polypropylène rouge créé par Marc Newson pour Magis en 2007 et qui s’harmonise avec les placards du dressing repeints en rouge vermillon.
Les chambres des filles qui ont 6 et 8 ans ont été meublées avec des objets qui vont grandir avec elles. Chaque chambre a un mur de couleurs, des stickers et des guirlandes lumineuses. Les lits sont composés de lits d’appoints pour héberger les copines. Les bureaux sont en verre et les chaises créées pour Magis.
La salle de bains Invités est résolument minimaliste. Elle est entièrement carrelée dans des tons de gris anthracite irisé. Le miroir et la table basse sont des créations des frères Campana pour Alessi.
La salle de bains de l’étage est plus classique avec ses placards peints en blanc et son carrelage gris anthracite et beige.
La cuisine a également été rénovée. La mosaïque a été remplacée et les placards ont été repeints en rouge. Des posters d’artistes américains très colorés égayent les murs. Les propriétaires aiment cuisiner et se sont équipés pour cela d’ustensiles à la fois pratiques et rigolos. “La râpe à fromage d’Alessi” a été notre premier achat de jeunes mariés” raconte la maîtresse des lieux. Le premier d’une longue série d’objets qui sont pour certains des pièces de musée. Mais comme le dit si bien la propriétaire “c’est fonctionnel, pratique, confortable et beau”. Un musée à vivre en quelque sorte.