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Maha Benyachou : «L’architecture est un exercice qui se doit d’être humble»

By février 15, 2022No Comments

Diplômée HMONP à l’ENSA Paris-val-de-Seine, Maha Benyachou a fait ses armes entre Paris et Los Angeles, au sein du cabinet d’architectes AW2 spécialisé dans la conception et la réalisation d’hôtels de luxe et le cabinet d’architectes Carlos Zubieta, avant de se réinstaller durablement au Maroc. Après quelques années auprès d’un promoteur immobilier, c’est la voie de l’entrepreneuriat qu’elle a choisie en créant MB Backstage Architecture.
Par : M.W.

© Myriem Himmich

«Dans l’aventure créative d’un projet résidentiel, l’architecte occupe une place complexe, où il est narrateur – à la fois omniprésent et omniscient – d’une histoire qui n’est pas la sienne, et ce, tout le long de l’opération.»

 

Qu’est-ce qui vous a poussée à créer votre propre agence ?
Suite à mes études et à mes expériences à l’étranger, j’ai choisi de rentrer au Maroc en 2015 car il s’agit du berceau familial pour lequel j’ai une attache profonde. Pendant les 4 années qui ont suivi, j’ai travaillé chez un promoteur immobilier au Maroc (KLK), avec lequel j’ai eu l’occasion de participer au développement de projets d’envergure sur plusieurs hectares. Cette expérience a été un véritable observatoire de la profession. Durant ce parcours, j’ai analysé le vécu et tiré profit de certains récits. En 2019, à la naissance de mon premier enfant, j’ai saisi l’opportunité que m’offrait cette période particulière de ma vie et toutes les belles énergies qui l’accompagnent, pour prendre la décision de me réaliser en tant qu’architecte à titre personnel. J’ai ainsi créé MB Backstage Architecture. L’expérience entrepreneuriale donne alors un tout autre sens au métier : confronter la théorie à la pratique, la confession à la profession. Le désir de créer d’une part, puis la volonté d’entreprendre d’autre part, représentent les deux pôles théorico-pratiques autour desquels mes aspirations n’ont cessé de cristalliser. Depuis, avec mon équipe, nous avons travaillé sur divers projets, allant de l’immeuble de studios premium à la villa signature.

© Myriem Himmich

Comment caractérisez-vous votre démarche créative ?
À mon sens, l’architecture est un exercice qui se doit d’être humble. Humble, parce que cet objet architecturé, aussi sculptural puisse-t-il être, est intimement lié à son paysage, à son environnement, et à son petit morceau de territoire qui dictent les règles du jeu.
À travers mes projets, qui ne sont pas uniquement les miens mais d’abord ceux de mes clients, j’espère cristalliser cette vision : celle d’une architecture qui n’obéit pas à des courants de pensée.
Occuper le lieu, c’est s’accorder sur l’idée que l’on ne fait que l’emprunter…Selon moi, participer à la création-réalisation d’une maison d’un particulier, c’est avant tout développer une vision unique, répondant au mode de vie singulier d’inconnus qui vous invitent momentanément dans leur intimité.
Dans cette aventure, l’architecte occupe une place complexe où il est narrateur – à la fois omniprésent et omniscient – d’une histoire qui n’est pas la sienne, et ce, tout le long de l’opération.
C’est dans cette position que mon mode d’exercice trouve refuge : associer l’idée à la matière, dans la discrétion des attentes – et des rêves – de chacun.

Comment envisagez-vous le lien entre l’architecture et l’architecture d’intérieur ?
La réussite d’un projet passe nécessairement par un dialogue des espaces inside-outside. Dans ma vision de l’habitat, les deux sont indissociables. Chaque projet architectural est une réponse à une vision exclusive, nourrie par les besoins et les attentes du client. Prenant pour appui le concept de la maison intérieure-extérieure, réinventer le jardin latéral de 5m est un des concepts phares que nous apprécions développer à l’agence. Une infinity pool (piscine infinie), par exemple, viendrait habiller les baies vitrées ouvertes sur l’extérieur. Sur des maisons comme celles-ci, les jardins latéraux sont souvent peu exploités par les usagers de la maison. Ce sont des jardins oubliés. Nous tentons d’explorer la meilleure option afin de tirer profit de chaque mètre carré de jardin, et de maximiser visuellement tous les espaces vers des extérieurs à végétation dominante. Si les villas inside-outside sont un des concepts que nous prenons le plus de plaisir à travailler, chaque projet est réfléchi en fonction des points forts du terrain, de son orientation, et des perspectives qu’il peut offrir.
Dans le prolongement de cette idée, et en plaquant l’élément – eau –, nous apportons un nouveau centre d’attractivité au sein des espaces de vie. L’effet est immédiat : tous les espaces de vie de la maison entretiennent un lien privilégié et de proximité avec l’extérieur. La douceur de l’eau et la beauté des jardins tropicaux deviennent des « tableaux paysages » … un appel à l’évasion, à la sérénité de l’âme et de l’esprit.

© Myriem Himmich

Quelles sont vos sources d’inspiration ? Avez-vous des maîtres à penser qui guident votre travail au quotidien ?
Symboliquement, je choisirais Mahony Griffin, une des premières femmes agréées architectes dans le monde. Il faut le dire, le métier d’architecte et son écosystème sont particulièrement masculins encore aujourd’hui.
Ma réponse serait incomplète si je n’évoquais pas Luis Barragàn, architecte mexicain, qui a ouvert ses œuvres littéralement « vers le ciel ». Son style est une synthèse d’architecture vernaculaire et moderniste. Je pense en particulier à sa maison personnelle, la casa Luis Barragàn, appelée encore « maison-atelier », qui est un chef-d’œuvre d’humilité, loin des grands gestes architecturaux ou des architectures dites iconiques. Elle a été inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, c’est dire !

© Myriem Himmich

Selon vous, quels sont les points clés à observer sur un projet de construction ?
Les métiers qui gravitent autour de la construction sont des métiers pragmatiques. La conception des rêves passe par l’analyse des dimensions réelles. Aux contraintes du site, viennent se juxtaposer les réalités budgétaires, réglementaires et urbanistiques. L’architecte peut user de tout son savoir-faire en matière de création d’espaces.
Pourtant, il ne peut faire l’impasse sur les impératifs réglementaires ou budgétaires, par exemple. Ceux-ci vont à leur tour, donner un cadre lors du processus de conception et ainsi polariser la réflexion. Je pense même que de la contrainte, naissent les belles idées. Sur nos projets, nous déplaçons les différents curseurs mis à notre disposition afin d’apporter une réponse architecturée mais qui se doit d’être contextualisée. Architecture des volumes, lumière, impact sur le site, et dialogue harmonieux des espaces s’alignent pour ne faire plus qu’un.

© Myriem Himmich

 

«Un objet architecturé, aussi monumental ou sculptural soit-il est intimement lié à son environnement. Occuper le lieu, c’est prendre en considération que l’on ne fait que l’emprunter.»

 

Quels sont aujourd’hui vos coups de cœur en termes de matériaux et de tendances ?
Il y a quelque chose d’immédiat et d’éphémère dans la notion de tendance. Les univers gagneraient à être développés sur la base de matériaux – ou d’éléments – intemporels, et qui de ce fait, vieillissent bien dans le temps. Par exemple, l’albâtre, le travertin, le bois et le cuir – travaillés ensemble, font la promesse d’un rendu réussi. L’eau est un élément que l’on retrouve dans la plupart de mes projets, car il ajoute beaucoup de douceur. En bassin, en fontaine façon hacienda… L’eau, par sa nature divine, apporte toujours plus de sérénité dans un projet.

© Myriem Himmich

Quel est votre toc déco ?
Une pièce assurément rétro dans un décor minimaliste ou l’inverse ! J’ai vécu 7 ans à Paris et il faut dire que ces années ont laissé en moi une marque indélébile. Sans m’en rendre compte, il y a souvent une petite touche haussmannienne qui ressort dans mes projets comme un parquet en point de Hongrie ou Versaillais, un mur cannelé, un tableau impressionniste façon Monet…

Quelle place accordez-vous à l’artisanat dans vos projets?
Nous avons la chance d’être dans un pays où l’artisanat est intrinsèque à notre culture. À mon niveau, j’espère pouvoir contribuer au rayonnement de nos artisans qui ont un si grand talent. Menuisier, marbrier, plâtrier, ferronnier, tous participent à la réalisation de nos projets. Tout architecte au Maroc ne peut qu’être reconnaissant d’avoir un écosystème d’artisans riche, qui subliment et réalisent nos idées avec le plus grand soin. La touche de l’artisan fait toute la différence et sur chantier, nous apprenons au quotidien à leurs côtés.

La durabilité est-elle une notion importante dans votre travail ?
Certaines architectures laisseront une empreinte dans l’histoire. La responsabilité est immense lorsque l’on pense aux générations avenir qui occuperont les lieux. Vivrons-nous avec les mêmes standards d’habitat dans 50, 100 ans ? La question de la durabilité amène donc la réponse de l’adaptabilité et de la convertibilité. Dans un idéal, une architecture devrait être capable de se réinventer afin de satisfaire d’autres modes de vie, ou de nouvelles fonctionnalités.

Quels conseils pourriez-vous partager avec nos lecteurs pour éviter l’effet showroom dans un intérieur ?
C’est la grande question à l’heure d’une vie post-confinée. Ce que j’aime faire, c’est apporter des pièces de différentes époques tout en les faisant cohabiter harmonieusement. Nous pouvons opter pour une pièce qui nous évoquerait un souvenir, un voyage passé. Une autre, notre état du moment, ou encore un objet évocateur d’un futur proche radieux. Pa exemple, j’aime superposer un mur à moulures art déco avec un mobilier totalement avant-gardiste.

Que dire plus précisément du projet N°9-K? Quels sont les éléments du projet qui soulignent le plus votre signature architectural ?
Comme pour tous les projets résidentiels pour les particuliers, j’ai tenté d’apposer ma signature avec subtilité. L’idée est surtout de créer une signature-client plus qu’une signature architecturale qui serait propre à l’agence. Il y a bien des éléments architecturaux qui doivent donner une «impression de style» mais cela ne devrait pas résumer le projet.

Qu’est ce qui a été le plus challengeant sur ce projet ?
La villa n°9-K a été développée pour un client lui-même acteur actif dans le domaine de la construction. Le challenge a surtout été de le surprendre, car il faut le dire, le client avait, et a toujours, un œil très averti. Cela m’a encouragé à approfondir les recherches afin d’être force de proposition. La partie agréable a été de voir cette famille enthousiaste à des idées nouvelles, à la limite de l’expérimentation. L’autre challenge, pour être honnête, a été de travailler dans un écrin absolument splendide et de le personnaliser (en construction seconds œuvres et mobilier) en continuité avec les choix de l’architecte, qui a réalisé des façades d’une infinie qualité.

Avez-vous un rêve créatif ?
J’adorerais participer à un projet qui bousculerait les codes de l’habitat tels qu’ils sont définis aujourd’hui. Questionner et réinventer nos habitudes de vie. Spatialiser les lieux afin de mieux occuper les intérieurs et enfin, vivre, en extérieur.