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Ghizlane Sahli : «Je suis enfin là où je dois être»

By août 12, 2018juin 7th, 2021No Comments

Après un long chemin qui l’a menée de l’architecture à la création de vêtements brodés pour enfants, Ghizlane a trouvé sa voie. Son travail en solo révélé à l’African Art Fair, est aujourd’hui présenté au MUCEM de Marseille dans le cadre d’une exposition dédié à l’or. Un succès rapide et mérité pour une artiste qui est «dans l’émotion pure» et dont le message se veut universel. Elle nous raconte son parcours, son processus créatif et ce qui l’a menée à Marseille vers une reconnaissance internationale. Une véritable ruée vers l’or…

 

 

 

 

 

 

D’où vous vient cette passion pour le fil, le tissu, la broderie ?
J’ai eu mon diplôme enceinte de ma première fille. Puis trois autres enfants ont suivi. Quand je suis rentrée au Maroc, j’ai privilégié mon rôle de maman et j’ai passé énormément de temps avec mes enfants. La broderie, les tissus sont une passion depuis toute petite. J’ai une collection de tissus que je ramène de mes voyages. J’ai décidé de faire des vêtements pour enfants, avec de la broderie. J’ai créé Alrazal en 2006 et j’ai très vite rencontré le succès, boostée par l’exposition des Assises du tourisme dans une scénographie de Chama Lazrak. Ensuite, j’ai enchaîné avec l’exposition Marocollection aux Galeries Lafayette de Paris, des défilés à la Mamounia…Mais je ne me suis jamais sentie à ma place et j’avais presque honte. A chaque fois que je voulais tout arrêter, on me proposait quelque chose auquel je ne pouvais pas dire non. Pourtant, je ressentais un profond malaise.

 

Vous finissez par changer de voie en 2012 en vous consacrant à la création artistique. Quel a été le déclic ?
Le Marrakech MAG m’a demandé de faire une robe en utilisant des matériaux recyclés. J’ai réalisé une robe en zbel qui a fait la couverture.
A la suite de ça, j’ai tout fermé et j’ai commencé à bosser à la maison. Mais mes recherches prenaient trop de place. J’ai pris un local avec ma soeur Katia, et le photographe Othmane Zine. En janvier, on a proposé un travail pour la Biennale de Marrakech. Nous avons lancé Zbel Manifesto et cela a été une révélation.
Le succès a été tel que je craignais que cela ne soit qu’un feu de paille et qu’il n’y ait plus rien après. Pendant la Biennale, Aniko Boehler m’a proposé de participer à une exposition de femmes artistes avec des femmes de la médina. Le travail que j’avais commencé à la maison nécessitait justement l’intervention de femmes.
Ca répondait parfaitement à ce que je voulais faire. J’avais bossé sur un papillon, symbole de renaissance, de métamorphose. J’ai passé quatre mois à Dar Bellarj à travailler avec des femmes sur ce papillon. C’est là que j’ai commencé à développer les alvéoles avec les fils de soie. J’ai toujours adoré les bobines de soie colorée. Quand j’étais chez Alrazal, je me disais qu’un jour je travaillerais avec cette soie. J’ai réalisé à ce moment là que l’expérience Alrazal a été très formatrice pour moi.
Une grande partie de mes idées vient d’Alrazal et de ma collaboration avec des artisans avec qui j’ai essayé plein de choses. C’était un chemin logique.  Tout comme l’architecture, qui m’amène aujourd’hui à travailler sur l’espace et les volumes.
Après cette expérience à Dar Bellarj, j’ai surtout fait des installations pendant deux, trois ans. Il y a un an et demi, je me suis dit qu’il était temps que j’envisage de faire des choses «exposables» dans une galerie. Et j’ai commencé le travail qui vient d’être présenté chez David Bloch. J’avais préparé pas mal de pièces. J’en ai exposé deux au Riad Denise Masson dans le cadre d’une exposition collective, puis à la COP 22 et David Bloch m’a proposé de participer à une exposition collective. En janvier 2017, j’ai fait un Solo Show à l’Institut français de Rabat. Puis une exposition collective chez David Bloch. Il m’a proposé ensuite de faire le solo show.
Comment travaillez-vous avec les femmes artisanes ?
Najat m’accompagne depuis le début. Elle est là en permanence. On collecte des bouteilles en plastique à travers un réseau de cafés. On les coupe et on les brode. C’est un processus très long. Je travaille avec plusieurs femmes qui font ça chez elle. On développe avec Najat de nouvelles formes. C’est avec elle que je fais mes expériences. Le coeur exposé au MACAAL a été réalisé avec des tuyaux qui servent à mettre de l’essence dans les mobylettes. On les coupe, on les brode et on les cout à une forme en grillage. On développe d’autres formes et d’autres manières de faire. On fait aussi les alvéoles sur du grillage que je met en forme. Parfois,  j’ai des idées bien précises sur ce que je veux obtenir, d’autres fois, c’est la pièce qui décide. On noue sur le grillage pendant des heures. C’est une sorte de méditation. C’est sensuel.

Pourquoi avoir appelé votre première exposition individuelle «Histoires de tripes» ?
J’ai travaillé sur le corps humain. Ce titre est hyper important car j’adore raconter des histoires et je voulais un titre qui me parle. C’est un titre à double sens car ça vient de mes tripes, et au premier degré, ça évoque le corps humain.
Quand j’ai commencé, je me suis sentie un peu déconsidérée par le monde de l’art, car en général ici, il faut revendiquer quelque chose, appartenir à un groupe, alors que moi, je suis dans l’émotion pure. J’aime transmettre des émotions. Travailler sur le corps humain, cela m’a passionnée parce que c’est quelque chose d’universel. Je n’avais pas envie d’appartenir à une catégorie. Le résultat est hyper poétique alors que je suis partie de choses comme les glandes, les tripes,…. Je voulais être sincère jusque dans le titre…
Vos alvéoles font la synthèse entre la broderie et la démarche de traitement des dêchets de Zbel Manifesto. Quel est leur message ?
Un dîner en ville au MACAAL, ce sont nos déchets récoltés pendant une semaine.
C’est une  espèce de métaphore, car on voulait que ce soir hyper chic, que ce soit beau avec La Callas en fond sonore. Les gens, quand ils entrent, ne réalisent pas tout de suite que ce sont des déchets. Mais avec mon travail personnel, je suis plus dans l’émotion.
Quand je prends toutes ces bouteilles, j’ai l’impression que ce sont des énergies venant d’ailleurs et que les alvéoles les unes à côtés des autres forment une matière.
Chacune a une histoire et chaque petite histoire crée une nouvelle histoire.
En plus le processus est long. C’est une espèce de gestation.
On ramasse, on coupe, on brode, on ajoute des fils, on crée cette matrice sur laquelle on pose une à une des pièces. C’est une naissance une fois que l’oeuvre est là.
On n’est pas dans l’écologie, mais dans la transformation de la matière.

Depuis le mois d’avril, une de vos oeuvres est exposée au MUCEM, à Marseille, dans le cadre de l’exposition L’Or, un voyage dans l’histoire de l’art au fil de l’or, aux côtés de grands artistes. Une véritable consécration. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je n’en reviens toujours pas. C’est en effet une exposition sur l’or, avec autant d’art contemporain que de pièces millénaires. J’ai trouvé ça vraiment interessant. Marcel Tave est le commissaire pour l’art contemporain. Au début je n’y croyais pas. Ma pièce est collée à une oeuvre de Louise Bourgeois, en face, il y a Yves Klein, Marcel Duchamp pas trop loin, c’est un truc de fou. Il y aussi Hassan Darsi qui participe à cette exposition. Je suis contente car j’y suis pour mon travail, pas parce que je suis Marocaine, ou femme.

Comment avez-vous été retenue pour cette exposition ?
Je suis allée à un vernissage chez David Bloch et j’y ai rencontré Marcel Tave, le commissaire pour l’art contemporain qui venait de s’installer à Marrakech. Il a adoré mon travail et m’a demandé si j’avais des pièces en or. Je lui ai dit que je prévoyais d’en créer. Il m’a demandé de me faire une proposition et j’ai été sélectionnée. Pendant longtemps, je n’y ai pas cru. Finalement j’y suis avec un coeur doré avec des bouteilles apparentes. C’est un nouveau travail à partir de tuyaux recouverts de fils d’or et de sfifa.

Quels sont vos projets ?
Je viens de participer à une exposition collective à Milan avec la galerie Primo Marella qui m’a représentée à l’African Art Fair. Nous avons passé quinze jours à Majorque pendant le ramadan avec Zbel Manifesto pour faire une installation à la Fondation Yannick & Ben Jakober. J’ai d’autres projets d’expositions dans des galeries européennes et plein de nouvelles idées que je développerai l’année prochaine.
Je suis super contente car je suis enfin là ou je dois être.